Date de la sortie
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Temps d'activité
16 h passées sous terre

Scialet de la Fromagère

Participants
  • Prénom
    Torii
  • Prénom
    Guillaume

Voir le CR de Guillaume ici !

Se rendre à la Fromagère un 14 décembre… Est-ce vraiment une bonne idée ? C’est la question légitime que nous nous sommes posée pendant plus d’une semaine. En effet, cette cavité qui attire notre convoitise depuis de nombreux mois peut s’avérer mortelle en cas de crue, et la météo semble instable. Débute alors une analyse rigoureuse de l’enneigement, des niveaux d’eau des ruisseaux du bassin versant, ainsi que des températures prévues. Deux risques principaux sont identifiés : une pluie en altitude, qui ferait fondre rapidement de grandes quantités de neige, ainsi qu’un temps ensoleillé avec des températures trop clémentes, ayant le même effet.

Météoblue (prévisions météo multimodèle), Vigicrue et les webcams du Vercors nous permettent de prendre une décision le matin même : tous les voyants sont au vert. De la neige est prévue toute la journée à partir de 900 m, les températures sont négatives avec un ressenti pouvant descendre jusqu’à -10°, et le Méaudret, affluent qui ne coule dans le D35 qu’à partir de 1 m³/s, est à l’étiage avec un débit de 0,4 m³/s.

 

Il est 5 h 45 lorsque le réveil sonne. Nous avons dormi à Grenoble chez mes parents pour gagner quelques heures de sommeil, et malgré l’heure matinale, nous sommes plutôt en forme. Sûrement l’excitation de la journée qui s’empare déjà de nous. Un passage rapide à la boulangerie, et nous nous garons à la mairie d’Engins à 7 h 15. Contrairement à nos autres passages, nous ne nous sommes pas garés au parking du Fournel. Cette alternative, dont le dénivelé est équivalent mais avec plus de kilomètres, est plus longue, mais avec une pente plus douce, ce qui devrait nous faciliter la marche étant donné la quantité de neige. Équipés des luges de mon enfance, nous démarrons ainsi une longue et fastidieuse marche. Les luges nous servent à tirer les kits sur la neige à l’aller, tandis qu’elles nous permettront de rentrer plus rapidement la nuit suivante. La neige frôle nos genoux, et l’orientation dans ce paysage immaculé n’est pas des plus aisée. Heureusement que nous connaissons bien le trajet. À notre arrivée, les deux tipis (celui d’entrée dans le scialet, et celui de stockage du matériel) courbent l’échine : un travail de déneigement s’impose. La chose faite, nous enfilons sous-combinaisons, pontonnières (merci Valentin pour le prêt) et combinaisons ; et c’est à 10 h 30 que nous entrons enfin sous terre.

 

Guillaume part devant et semble défier les lois de la gravité. Il se soustrait avec aisance aux têtes de puits étroites, et les méandres accrocheurs ne semblent pas vouloir le retenir. Nous passons la tyrolienne, un de nos indicateurs quant au risque de crue : si c’est la douche, mieux vaut renoncer. Seules quelques gouttes nous accompagnent, ce qui confirme nos prévisions pour la journée et nous rassure. Dans les grands puits, les cordes semblent avoir rétréci au lavage, et tenter de faire une clé complète est utopique. Guillaume, qui en est à sa troisième visite et connaît chaque prise de pied, ne semble pas perturbé par cette subtilité. C’est donc en 1 h 20 que nous arrivons à la « rivière -1000 » du D35 située 412 m sous les tipis.

 

Dans la rivière, notre premier réflexe est de nous immerger jusqu’au ventre afin de vérifier l’étanchéité des pontonnières. Le test validé, nous pouvons poursuivre. Le débit d’eau n’est pas dérisoire, mais nous l’avons déjà vu plus frénétique. Connaissant mieux ce nouvel environnement, je passe devant et déploie les premières cordes. C’est sur la 3ᵉ que, sous mon poids non négligeable dû aux lasagnes englouties la veille, un spit se dérobe. Après cette petite frayeur, je teste la résistance du second point et conclus que nous pouvons poursuivre notre route. Les ressauts s’enchaînent, et notre attirail étanche nous permet de gagner un temps précieux dans les vasques.

Nous rejoignons le réseau de la Fromagère à la cote -530 en 3 h. C’est une majestueuse chute d’eau de 30 m constituée de deux cascades : la rivière de la Fromagère et celle du D35 fusionnant dans un fracas assourdissant. S’ensuit un bassin, trop profond pour nos pontonnières, qu’il faut traverser par quelques acrobaties contre la paroi. Un faux pas, et c’est la baignade assurée, soit la fin de notre périple. Tout se passe sans encombre, et nous arrivons à un siphon. Celui-ci se shunte en remontant quelques cordes puis en traversant « Les vires ». C’est une succession de mains courantes où l’économie d’énergie n’est pas une mince affaire. En effet, de nombreux points se sont décrochés, rendant la main courante lâche, et il faut résister à l’envie de forcer sur les bras pour se redresser. Quelques rapides et voûtes surbaissées nous accompagnent par la suite et me valent deux chutes : la première, une simple glissade qui m’inflige un beau bleu à la hanche, et la deuxième lors d’un tarzan sur corde. D’après le mode d’emploi, il faut mettre son croll, ravaler la corde, et… s’élancer ! Chose faite, je me suis juste mangé un mur. Je demande à voir pour comprendre ce qui a pêché !

 

Nous voilà dans les toboggans. Ici, des débits effrayants pourraient, associés à une chute, entraîner toute personne imprudente au fond du précipice de 30 m qui surgit au bout. Pour notre plus grand bonheur, des mains courantes, élaborées avec de la cordelette et des cordes à moitié dégainées, sont là pour nous retenir.

Le P30, surprenant, donne une nouvelle dimension à notre excursion. Deux choix s’offrent à nous : une corde descendante, qui est la plus attirante, et une main courante plein vide fixée au plafond, qui disparaît derrière un angle. Suite au brief de Valentin, je sais que c’est cette option que nous devons choisir. Nous partons alors, les pieds au-dessus de la tête, à la recherche de prises potentielles tels les grimpeurs du grand dévers de Climb Up Gerland. La descente est ensuite divisée en deux tronçons. La première partie, verticale, apporte un semblant de normalité durant laquelle on peut visualiser la corde de la première option passer sous l’immense cascade (on comprend mieux pourquoi il vaut mieux réaliser quelques singeries au plafond). La deuxième est un rappel guidé qui nous emmène loin sur une plateforme où nous nous retrouvons face à face. Là, nous ne pouvons qu’admirer mutuellement nos visages ruisselants sous l’embrun. C’est ici que, la fois précédente, nous avions fait demi-tour avec Laulau.

Nous nous engageons donc vers l’inconnu, accueillis par un mélange entre un rappel avec deux déviations et une main courante. Nous mettons en place nos descendeurs, mais il est impossible d’utiliser le frein tellement les cordes sont courtes. Une dernière verticale se présente. Lorsque je déploie la corde lovée à son sommet, je constate qu’une tonche a été isolée par un nœud. En descendant, je rate la déviation qu’il fallait mettre et me retrouve à passer le nœud pile sous la cascade. Quel agréable moment !

 

Nous voilà maintenant dans un méandre aux parois sombres, premier signe que la zone est parfois immergée. Le méandre est assez étroit. Nous pouvons nous mouvoir quelques instants au fond, mais il faut ensuite cheminer à une dizaine de mètres de hauteur par quelques démonstrations de varappe. Guillaume, hésitant, m’informe qu’il ne continuera pas longtemps si les conditions ne s’améliorent pas. De mon côté, la progression ne me dérange pas tant, mais c’est le risque de crue qui me tourmente. À chaque fois que j’imagine une potentielle montée des eaux et que je cherche d’éventuelles zones de stockage dans les hauteurs du méandre, je n’y vois que des lambeaux de cordes échoués aussi haut que ma lumière puisse éclairer. Il faut aller vite.

Un virage à gauche, une corde remontante, des bouteilles d’oxygène : il ne fait aucun doute, nous arrivons au siphon terminal ! Nous prenons une pause sur une plateforme en hauteur au niveau du premier fractionnement. J’en profite pour manger mon sandwich. Nous discutons objectif, et d’un accord mutuel, nous décidons de ne pas aller voir les explos et le siphon émeraude, mais uniquement le siphon terminal avant d’entamer la marche retour. Une fois mon repas terminé, je me dirige vers le siphon terminal. Guillaume, réticent, reste sur place et me dit de l’appeler si cela vaut vraiment le coup. Je traverse une bassine dans laquelle l’eau monte très haut, et je crains qu’elle ne pénètre par-dessus la pontonnière. Cet ultime obstacle franchi, me voici au siphon terminal, à une centaine de mètres à peine de la résurgence à -1100 dans le gouffre Berger. Comme tout siphon, il n’est pas spécialement beau, et même plutôt glauque. Des bulles stagnent à la surface et, comme dans tout lieu visité par l’HOMME, on ne peut qu’admirer l’appareil reproducteur masculin dessiné à la perfection sur les parois glaiseuses. J’appelle Guillaume qui, avec quelques encouragements, finit par me rejoindre pour prendre la pose dans ce lieu empreint de beauté.

Le temps presse : cela fait maintenant 6 h que nous sommes entrés sous terre, et nous devons remonter les 744 m nous séparant de la surface !

 

S’entame alors une longue et pénible remontée. Toute la partie rivière se déroule convenablement et me semble passer assez vite. Nous nous arrêtons peu, car nous ne voulons pas perdre de temps. Plus tôt on sortira, plus vite on retrouvera la chaleur d’un bon lit ! Les boissons électrolytes semblent faire leur effet, car les crampes ne font pas encore leur apparition. Seule une nouvelle glissade de ma part vaudra quelques copieux jurons. Chaque petite avancée est une réussite en soi, et nous rapproche de la sortie.

 

Lorsque nous arrivons au bas des puits du D35, aux alentours de 21 h 30, un sentiment de sécurité nous envahit : nous ne craignons plus la crue et sommes maintenant en terrain connu. Il faudra quand même une solide volonté pour remonter les 412 interminables mètres de puits qui nous séparent de l’extérieur. C’est l’équivalent d’une sortie à part entière.

Me sentant en forme, je pars en premier et attends Guillaume pour qu’il me donne le réchaud. Je prends de l’avance pour préparer un repas lyophilisé et nous donner des forces. Un repas chaud devrait être réconfortant. Je remonte donc en alternatif quelques puits et m’installe sur une plateforme où je prépare le repas en attendant Guillaume. Lorsqu’il arrive, il n’a pas spécialement faim et me laisse consommer seul les 1016 kcals contenues dans ce fabuleux curry de pâtes au poulet. Je mange rapidement et reprends mon ascension pour ne pas perdre le rythme. Quelle erreur ! Au niveau du bas du puits luxé, mon ventre commence à me torturer : je n’ai pas eu le temps de digérer, et le curry semble vouloir rejoindre la rivière. Je m’allonge quelques instants, qui paraissent courts pour moi, mais très longs pour Guillaume qui grelotte, emmitouflé dans son tout nouveau poncho de survie. Je me fais violence pour reprendre la montée.

 

C’est dans les méandres que je me sens le mieux. Je progresse alors un peu plus vite que Guillaume, qui semble avoir perdu son baudrier, subtilisé par le méandre France-Islande refusant de lui rendre sa liberté.

Plus nous sentons que notre balade touche à son terme, plus le froid devient perçant. Il s’engouffre par bourrasques jusqu’à -100, accompagné de flocons de neige transportés par le courant d’air aspirant. Mes gants commencent à durcir, et je ne sens plus mes doigts. Sur la dernière corde, ma poignée bloque sur la glace accumulée, et je termine mon ascension en escalade libre.

 

Me voilà enfin à l’air libre : il est 2 h 30 du matin. Cela fait maintenant 16 heures que nous sommes sous terre et je suis transi par le froid. Dehors, il neige, mais pas un bruit ne se fait entendre. Ce calme contraste avec le brouhaha constant des remous enduré pendant de longues heures. Je me change rapidement, enfilant mes vêtements gelés, figés par le froid de la journée. Guillaume me rejoint, tout aussi frigorifié. Une fois changés, nous entamons la marche du retour. Nous cherchons les étoiles, mais la neige continue de tomber.

 

Une fois le sentier retrouvé, c’est une féroce course de luge qui s’engage. Chacun sa méthode, mais Guillaume démontre un certain talent pour cette discipline (il ne doit pas craindre de finir dans le fossé) et me sème la plupart du temps. Lorsque la pente n’est pas assez forte, les luges nous servent à tirer les kits, ce qui représente un gain d’effort non négligeable à cette heure avancée.

 

Nous retrouvons enfin la voiture vers 5 h du matin, et il est 5 h 45 lorsque nous arrivons chez mes parents à Grenoble. Cela fait pile 24 heures que nous sommes debout. Épuisés mais heureux d’avoir atteint notre objectif, nous nous couchons sans demander notre reste. Une petite pause sera quand même nécessaire après cette aventure intense.

Publié par
Torii