Comprendre les grottes

Grâce à la grotte du Crochet Supérieur

La grotte du Crochet Supérieur – commune de Torcieu (01) – est bien connue des spéléos pour son accès relativement aisé et sa visite accessible en initiation. Elle est très appréciée, car encore relativement préservée de la pollution et de la sur-fréquentation. Elle se régénère en partie d’elle-même, étant parcourue par une rivière et une infiltration d’eau active.

Ce trésor karstique, à quelques mètres sous terre est, qui plus est, un véritable livre ouvert des sciences de la terre. Au travers de cette page, le Clan Spéléo des Troglodytes et le Groupe Ulysse Spéléo, deux clubs rhodaniens qui parcourent la cavité régulièrement et depuis fort longtemps, ont essayé de vous faire découvrir certaines notions essentielles à la compréhension du milieu souterrain.

Il vous est proposé ci-dessous une visite guidée de la cavité, avec un repérage grâce aux numéros de la topo.

topo_crochet

Présentation générale de la grotte du Crochet (réseau de Dorvan)

Le massif du Bugey où se situe notre grotte correspond à la pointe méridionale du Jura. Les calcaires qu’on rencontre autour du petit village de Torcieu sont datés du Jurassique moyen, époque des dinosaures, il y a 167 millions d’années. Plus précisément, pour les géologues, ces terrains appartiennent au Bathonien et au Bajocien. En particulier au Crochet supérieur, c’est du Bajocien supérieur.

La grotte du Crochet supérieur fait partie d’un ensemble souterrain beaucoup plus important, un des plus grands de l’Ain en développement, celui du réseau karstique de Dorvan. « Karst » est le nom savant donné à toutes les cavités creusées par l’eau. Le Crochet supérieur se situe à peu près au milieu de cet ensemble de karsts, c’est-à-dire que l’eau qui y circule provient d’autres grottes (Crochet sup sup, Cormoran et Perte de Socours) et repart vers d’autres cavités également répertoriées un peu plus bas (Crochet inférieur et grotte du Pissoir).

La jonction Crochet sup – Crochet inf est réalisable, mais aux basses eaux car il faut passer dans des étroits conduits où coule la rivière, juste après le P12 (9). La jonction entre le Crochet inférieur et la perte de Socours reste à faire.

Pour connaître le chemin de l’eau avec précision, les spéléos procèdent à des traçages. Concrètement, on verse un produit coloré à l’amont du réseau souterrain (fluorescéine) et on attend qu’il ressorte à l’autre bout – supposé – en mesurant les concentrations en produit. La grotte du Crochet a déjà fait l’objet de traçages ; de nouveaux sont d’ailleurs en projet. Il reste en effet beaucoup d’inconnues dans le cheminement supposé de l’eau. L’essentiel des galeries reste à découvrir !

La partie inférieure de la grotte du Crochet a été explorée par le Groupe Ulysse Spéléo dans les années 1970-1980. Le réseau supérieur, maintenant connu sous le nom de « Crochet Sup » a été découvert au début des années 1990 par remontées successives des puits, jusqu’au dernier – le P12 (9). L’entrée actuelle a été percée à partir de l’intérieur pour faciliter l’accès à cet extraordinaire réseau.

L’entrée : perte ou résurgence ?

L’entrée de la cavité, située à flanc de coteau, est bien discrète. Il faut pénétrer dans un étroit boyau qui se transforme très vite en laminoir sur une trentaine de mètres (1). Le courant d’air bien marqué a permis aux inventeurs de la grotte de trouver le courage pour désobstruer toute cette longueur ! On pénètre en réalité entre deux strates de calcaire (deux couches), quasi-horizontales (on dit « subhorizontales »). C’est d’ailleurs la définition spéléologique du laminoir : passage « large » mais bas entre deux couches de calcaire. L’eau a creusé ce passage en se faufilant dans le joint de strate, dans la discontinuité de roche située entre deux couches successives.

La question qu’on se pose dans ce laminoir, en plus de savoir quand va s’arrêter ce ramping infernale, c’est dans quel sens a bien pu circuler l’eau. En effet, c’est toute l’histoire de la grotte qui en dépend. Si l’eau s’engouffrait dans cette étroiture, il s’agissait d’une perte (l’eau se « perd »). A l’inverse, si l’eau ressortait par là, on a affaire à une résurgence (l’eau « surgit »). Pour le savoir il faut lire certains indices écrits sur les parois : figures de dissolution par exemple. Or au Crochet, on n’en a trouvé que dans la rivière (11) mais pas à l’entrée. Il faut alors se reporter à l’histoire du réseau karstique entier, et à l’histoire du Jura, pour percer le mystère. Une hypothèse avancée par les géologues suggère que l’entrée aurait pu être un trop-plein latéral du réseau (résurgence). Les indices d’écoulement sont encore à trouver !

En sortant du ramping, il faut se retourner pour observer le monticule de glaise sur lequel nous avons progressé (2). Le laminoir était autrefois beaucoup plus large, il était tel que vous le voyez là où vous êtes. Il a été progressivement comblé par l’argile de décalcification, contenue dans l’eau. Cette argile était dans le calcaire à l’origine, en faibles proportions. Après dissolution de ce dernier, l’argile (insoluble) a été transportée par l’eau et déposée à un endroit où le courant était plus faible. C’est de cette façon que les karsts se colmatent naturellement !

Des dunes de sable au calcaire compact

L’eau coule entre les strates, certes, mais elle n’irait pas profond si elle ne pouvait pas passer entre ces strates. Il arrive donc qu’elle trouve une fissure de la roche, et qu’elle s’y faufile pour descendre plus en profondeur. A petite échelle, c’est ce qui s’est passé au Crochet, dans le passage qui suit le ramping, au ressaut de 7,5 m (3). On remarque qu’à cet endroit, la roche est très fissurée. Elle est parcourue par une série de « diaclases ». Ce sont des discontinuités qui ont été créées lors de la formation du Jura, lorsque les calcaires ont été comprimés et soulevés. Contrairement aux failles qui sont aussi des fractures, les diaclases n’ont pas bougé ; la roche n’a pas glissé dessus. La halte au ressaut, sur la vire où on jette une corde pour descendre, est obligatoire. Le premier volume de la grotte offre un spectacle intéressant. A droite, il y a tout d’abord la cascade et la superbe colonne de calcite. L’eau, en tombant, ruisselle sur cette colonne et y dépose une infime couche de calcaire cristallisé (passage du calcaire dissout au calcaire solide, c’est la précipitation). Cette eau nous vient du Crochet sup sup, que l’on rejoint par la corde en place. Cette grotte est réservée à des spéléos confirmés, elle est très « humide » voire inaccessible en période de crue !

Ensuite, il faut éclairer la paroi d’en face (4). On observe une figure très intéressante. La stratification (succession des couches) change brusquement d’orientation. En terme géologique, c’est ce qu’on appelle une stratification oblique ou entrecroisée. Pour en trouver l’explication, il faut remonter à l’époque des dinosaures et se placer à l’origine de la formation du calcaire (figure ci-dessous).

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Le calcaire du Crochet provient d’un sable carbonaté – ou sable calcaire – situé à l’époque au fond d’une mer chaude peu profonde. Des courants hydrauliques ont charrié les grains et ont ainsi formé des dunes dissymétriques (I), similaires à celles que l’on rencontre à l’air libre dans les déserts. Le courant érode et dépose les grains, faisant ainsi évoluer continuellement la dune. Au gré des courants, marées et tempêtes, une nouvelle dune est venue recouvrir l’ancienne et une superposition de couches s’est opérée (II). Au final la stratification subit une discontinuité notable. La nouvelle dune s’est érodée à son tour et s’est déplacée grain par grain, etc. (III). Avec le temps, le sable et les sédiments marins se sont soudés, ils sont devenus le calcaire dur que l’on connait aujourd’hui.

Les bébètes des mers chaudes

Le calcaire du Crochet sup appartient certes à une même unité géologique (le Bajocien supérieur), il n’empêche que sous terre il se présente sous des formes très différentes. Selon le climat, le relief et les conditions biologiques, deux strates adjacentes peuvent avoir des formes complètement différentes. A l’entrée et sur une dizaine de mètres d’épaisseur, ce sont les calcaires oolithiques. Les oolithes ne sont pas des bêtes, mais des petits grains de sable qui ont été enrobés d’une couche de calcite, de calcaire cristallisé par précipitation. A l’œil nu, on les distingue à peine. Sur les parois, l’aspect est granuleux et rugueux. C’est ce calcaire qui offre à nos yeux les magnifiques figures obliques et entrecroisées expliquées plus haut.

Plus on s’enfonce dans la grotte et plus on remonte le temps. Aux calcaires oolithiques précèdent des passages marneux (calcaire + argile) reconnaissables à leur couleur plus sombre et à la dissolution plus difficile : les strates dépassent en paroi. Par alternance, on observe également des niveaux constitués de petits morceaux de coquillages. Ce sont les lumachelles à petites huîtres, des comblements d’anciens récifs et canaux par des débris de coquillages (les huîtres). Imaginez les Bahamas actuelles, vous aurez un aperçu de l’Ain il y a 160 millions d’années ! On les repère très bien car le grain est très grossier. A l’intérieur de ces strates, on observe de magnifiques fossiles. Nous en citerons deux : les bélemnites et les crinoïdes. Les premiers sont des animaux marins qui ressemblent à nos seiches actuelles. Leur fossile est le rostre, partie dure de l’organisme en forme de balle de fusil. On en trouve des sections et parfois des morceaux entiers sur les parois du Crochet. Les seconds, les crinoïdes, sont des animaux ressemblant à des algues sous-marines. On retrouve le plus souvent des morceaux de leur tige – les articles – qui peuvent avoir des formes très variées. Les plus beaux sont en forme d’étoile à 5 branches. Au Crochet, le courant marin devait être important car on rencontre très rarement plusieurs articles encore alignés : ils ont été dispersés à la mort de l’animal.

Au fond de la cavité, juste avant le P12 dans la galerie, la couche inférieure est difficilement identifiable sous forme de strate horizontale. Le calcaire est massif et formé d’une succession de « coussins » (8). Les conditions de formation de cette couche sont complètement différentes…

Un peu de mécanique

Pourquoi ça tient ? Pourquoi la nature, qui a horreur du vide, laisse-t-elle ces trous sous nos pieds ?

galeries_crochet

Une galerie creusée par l’eau entre deux grosses strates et dans un calcaire homogène, comme représenté sur la figure (IV), ne s’éboule pas grâce à un phénomène naturel appelé « effet de voûte ». C’est le même effet mécanique qui fait que les ponts en arche tiennent sans renforts, et que les voûtes de cathédrale ne s’effondrent pas sur les fidèles ! Les forces naturelles, causées par le poids des roches supérieures, se « circularisent » autour de la cavité et bloquent dans une certaine mesure les déplacements. On convient facilement que c’est la forme circulaire qui favorise le mieux l’effet de voûte.

Or, lorsque le terrain est très stratifié, l’eau creuse la galerie en descendant et l’effet de voûte naturel se développe en traversant plusieurs couches et discontinuités. La figure (V) illustre cet exemple, il s’agit de la galerie de jonction entre la Grande Salle et le P12 (8). Les strates se sont rompues successivement et continuent de tomber pour obtenir une forme la plus circulaire possible. En attendant, la section ressemble plus à un trapèze qu’à une voûte ! On observe également des fissures en clef de voûte, signe que la roche continue de bouger…

Pour former des grands volumes, l’eau ne suffit plus. Au début, il faut un carrefour de rivière ou un cours d’eau à fort débit et large lit. Ensuite, le plus souvent le terrain s’effondre et les blocs tombés sont progressivement dissous. Petit à petit la forme de la salle s’optimise pour atteindre la stabilité, en formant des cloches ou des voûtes circulaires. La Grande Salle du Crochet sup en est un bon exemple. Le plancher est jonché d’anciens blocs, souvent recouverts de concrétions et de gours. La rivière continue sont travail d’érosion et formera bientôt un canyon comme c’est déjà le cas un peu en amont de la salle (6).

Des concrétions qui poussent quand elles sont arrosées

Le calcaire, comme le sucre ou le sel de cuisine, a la capacité de se dissoudre dans l’eau. Cette dissolution est fortement accélérée par la présence de CO2, autrement appelé acide carbonique. Celui-ci provient de la respiration du sol, des racines, des arbres et de la pluie parfois déjà acide. Lorsqu’un filet d’eau parcourt une fissure de calcaire, il se passe la réaction suivante :

C02 + H20 + CaCO3 -> Ca(HCO3)2

dioxyde de carbone + eau + calcaire -> bicarbonate de calcium en solution

concr

Ce phénomène creuse les grottes, mais paradoxalement c’est également lui qui va créer de nouvelles roches, des roches d’un genre très spécial : les concrétions. En effet, l’eau qui s’est chargée de calcaire dissout peut apparaître par infiltration au plafond d’une salle ou d’une galerie. L’atmosphère qui y règne est ventilée et pauvre en gaz carbonique. La réaction inverse va alors s’initier : comme le sel de mer qui cristallise dans les marais salants, le calcaire va cristalliser — on dit se « précipiter » — pour former un amas de cristaux, le plus souvent de la calcite. Le schéma de gauche illustre la formation d’une fistuleuse en (a), sorte de paille de calcite qui se forme par anneaux successifs autour d’une goutte d’eau. Cette fistuleuse peut se boucher et dans ce cas, l’eau va suinter ou encore s’écouler le long des parois. Il s’agit alors d’une autre catégorie de concrétion, la stalactite (qui tombe), beaucoup plus résistante et épaisse (b). Les stalactites peuvent naître d’une fistuleuse, mais également d’un défaut initial qui canalise les gouttes d’eau. Elle continue de grossir et si l’eau qui tombe goutte à goutte est encore chargée de calcaire (c), elle peut entrainer la formation d’un plancher stalagmitique et/ou d’une stalagmite (qui monte). Lorsque les deux concrétions se rejoignent, elles se soudent et forment une colonne (d). Au Crochet Sup, dans la Grande Salle (7), il est possible d’observer des fistuleuses en formation, des stalactites, stalagmites de différentes tailles mais aussi des draperies. Ces dernières ressemblent à des voiles qui pendent du plafond. Elles ont été formées par le ruissellement d’un filet d’eau, toujours au même endroit, sur une partie de la voûte en pente.

Enfin il est un dernier type de concrétion particulièrement visible au Crochet Supérieur en (5) et en bas du ressaut (4) : il s’agit des gours (nom masculin). Ce sont des bassins, souvent superposés et de tailles variables, dont les parois sont entièrement formées de calcite. Au Crochet ils sont remplis d’eau, qui ruisselle en cascade d’un gour à l’autre. C’est par ce biais qu’ils se sont formés et qu’ils continuent de grossir. Au départ sur une pente douce, l’eau chargée de calcaire va cristalliser en calcite sur la moindre aspérité de roche : notre gour est initialement une simple flaque d’eau ! Des petits barrages se forment ainsi et deviennent autant d’obstacles qui ne cessent de grossir pour former ce que l’on observe aujourd’hui.

Un musée vivant de son histoire…

La grotte du Crochet ne se résume pas à sa Grande Salle et à son P12. En prenant à droite peu après le ressaut, on pénètre dans le Méandre. A la différence du laminoir, le méandre est un passage plus haut que large. Il a été creusé strate après strate par la rivière, et continue donc à descendre. L’eau ne passe plus dans les joints de strate, mais dans une fracture de la roche (diaclase ou faille). Au Crochet, il s’agit d’une diaclase qu’il est possible de distinguer au plafond (11). Selon la dureté de la strate et le débit d’eau qui y a circulé, le creusement est plus ou moins large formant un méandre en « trou de serrure ».

A la salle du Conseil (12), un carrefour de galeries apporte son lot d’affluents à notre rivière. Il faut remarquer ici, outre la magnifique colonne de calcite maintenant fossile (qui ne grossit plus), le remplissage partiel des galeries par des graviers et de l’argile. C’est un remplissage karstique certainement assez ancien qui renferme des restes de la faune de l’époque. Ainsi avec de la chance on peut y retrouver des dents ou des os. Ces remplissages de cailloux de calcaire, de silex et d’argile, charriés par l’eau, sont des témoignages uniques des derniers événements climatiques de notre ère, l’ère quaternaire. Il s’agit très souvent de restes morainiques des grandes glaciations (Wurm, Riss…).

Au siphon (13), c’est « fossile-land » ! L’étroite galerie renferme de nombreux débris de coquillages qui affleurent à la surface par érosion différentielle : le calcaire autour des fossiles se dissout plus vite que le fossile lui-même. Le fil d’Ariane qui part dans le siphon montre qu’il a déjà été plongé par les spéléos. Les nœuds sur le fil correspondent le plus souvent à sa longueur (1 nœud = 10m, 2 nœuds 20m, etc.).

Page réalisée dans le cadre de la commission scientifique Rhône-Alpes - Fédération Française de Spéléologie. Auteurs : François Martin (CST), Vincent Lignier (GUS) et Fabrice Redois (Univ. Angers)
Biblio : Atlas topographique du Crochet - 2 tomes - 1986 et 1995 - GUS